Agathe Shooner : une femme de cran

Par Catherine Couturier

Pionnière dans un métier d’homme, pharmacienne-propriétaire, engagée pour la défense de sa profession… Agathe Shooner a fait preuve d’une volonté et d’un engagement remarquable toute sa vie.

Agathe Shooner

Diplômée en 1958, Agathe Shooner faisait partie des six femmes de sa cohorte à étudier en pharmacie. Seule fille dans une famille de cinq enfants et dans les rares femmes à suivre un cours classique à l’époque (Collège Saint-Maurice de Saint-Hyacinthe, 1953), Agathe Shooner ne semblait pas avoir de la difficulté à évoluer dans des sphères masculines. « En pharmacie, il n’y a pas de différence entre les hommes et les femmes. Il n’y a que des pharmaciens », confiait-elle au Photo-journal en octobre 1975.

Volonté et passion

Il faut dire que la mère d’Agathe, veuve à un jeune âge, avait elle aussi une volonté de fer. Malgré le décès de son mari Évariste Shooner, elle réussira à envoyer ses cinq enfants à l’université. « La mère d’Agathe lui disait, “même si tu es une femme, tu dois étudier et apprendre à survenir à tes besoins” », relate Anik Shooner, présidente du comité consultatif de la Faculté d’aménagement, et qui a comme sa tante étudiée à l’Université de Montréal.

La jeune Agathe, avec son esprit scientifique et son désir d’aider les gens, choisit alors la pharmacie. « À l’époque, les pharmaciens préparaient fréquemment des médicaments », rappelle Anik Shooner, « on a parfois tendance à voir les pharmaciens comme des vendeurs, mais c’est tellement plus que ça ». « Je suis devenue pharmacienne en 1958, parce que j’aimais les sciences et le contact avec les gens : quel autre métier pourrait m’offrir cet équilibre ? », affirmait Agathe Shooner dans le numéro d’hiver 1994 de la revue des Diplômés. En 1994, elle a par ailleurs reçu la médaille commémorative du 75e anniversaire de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, médaille remise aux « leaders » issus de la Faculté.

De tous les combats

Agathe Shooner rêvait d’avoir une pharmacie en Afrique pour aider les gens. Elle consacrera finalement sa carrière à aider sa clientèle au cœur du Plateau-Mont-Royal, un quartier plutôt défavorisé à l’époque (Agathe a d’ailleurs vécu quelques hold-up durant sa carrière).

Elle travaillera d’abord comme pharmacienne salariée dans la plus vieille pharmacie de Montréal, située coin Saint-Denis et Rachel. « Le propriétaire n’était pas sur place, et c’est ma tante qui tenait la pharmacie », raconte sa nièce. Elle acquiert sa propre pharmacie en 1979, suivant en quelque sorte les traces d’entrepreneur de son père, qui possédait le magasin général de Pierreville. Elle refusera toujours de vendre aux grandes bannières. « C’était une des rares pharmacie qui ne vendait que des médicaments », remarque Anik Shooner. Elle restera propriétaire jusqu’à sa retraite à 65 ans. « Elle a un peu regretté d’avoir vendu. Elle aimait beaucoup sa profession », ajoute-t-elle.

La pharmacienne d’officine s’impliquera également pour faire avancer la profession. Celle-ci fut cofondatrice de l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec en 1966, devenant ainsi la première femme cofondatrice d’un syndicat professionnel en pharmacie. Elle militera notamment pour la présence en tout temps d’un pharmacien en officine. Agathe Shooner a ensuite été administratrice à l’Ordre des pharmaciens pendant 12 ans.

Le bonheur facile

« Dans les cinq dernières années, c’était plus difficile, mais elle voyait toujours le bon côté des choses. Elle me disait tout le temps, « ce n’est pas facile de vieillir, mais j’ai eu une belle vie ! », évoque Anik Shooner.

Femme indépendante, passionnée, Agathe Shooner a aussi voyagé un peu partout en Europe et jusqu’au Japon, s’est mise au sport, même sans talent naturel, et adorait parler avec ses clients. « Mon atout, c’est d’avoir une très grande proximité avec ma clientèle », soulignait en effet Agathe Shooner à la revue des Diplômés. « Certaines personnes ont le talent du bonheur. Ma tante était de ceux-là », conclut sa nièce Anik.